L’indifférence touffue des saules

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Quelqu’un m’a dit qu’il ne comprenait pas comment je pouvais aimer le jura, qu’il n’y avait rien, dans le jura. Je lui ai juste répondu : Ah si tu savais ; si tu savais tous les trésors qu’on y trouve, dans le jura.

Ces mots de ma grand-maman, griffonnés dans un carnet il y a longtemps, me sont revenus alors que je trottais dans les pâturages et les sous-bois entourant la Chaux-de-Fonds. 

Je passe une quinzaine de jours dans la ville où Cendrars a poussé ses premières « braillées » (je voulais écrire « bouêllées », pour continuer de convoquer la Cri-Cri, mais impossible de trouver une occurrence de ce mot en ligne et mes dicos romands sont à la maison… 😉 ; j’y suis en « résidence d’écriture » dans l’appartement Yves Velan. Le terme est pompeux, mais comme j’en avais fait la demande en lien à une candidature n’ayant pas été retenue, et que je m’y échine surtout sur un dossier pour le Griffon qui nous permettra peut-être de commencer l’année prochaine avec quelques deniers pour promouvoir la littérature romande, ceci rend cela tout de suite beaucoup moins glamour.

En courant, je pensais aussi à Alexandre Voisard, dont j’ai appris la mort en rentrant de la bibliothèque – j’étais allé lire des lettres décapantes que Cherpillod a écrit à Velan quand ils avaient à peine plus de vingt ans – ; je souriais en me remémorant l’amour que lui porte un autre Alexandre, Wälti, alors que mon compère Caldara a plutôt tendance à ne pas supporter le poète jurassien. Du ragoût et des couleuvres, pour secouer une expression figée où il est question de papilles et de pupilles.

C’est la grande révolte contemplative au milieu des tracas, des bonheurs et des incertitudes qui va nous maintenir réellement en vie.

Chappaz écrivait cela à Voisard le 3 juillet 1967 ; c’est tatoué dans un coin de ma caboche.

Je terminerai ce rapide déblogage par un des textes composant « Une Enfance de Fond en Comble », livre publié en 1993 aux somptueuses Editions Empreintes, un an après la mort de sa sœur. Je trouve que sa tonalité s’accorde bien avec « Electric fields », de Lisa Gertsch, vu en avant-première, avec Elline et Karine Baillod ; une séance privée, comme souvent au Minimum.

Lisa était là, nous a dit quelques mots avant de filer à la Tchaux avec Toplitsch ; elle présentait son œuvre aussi à l’ABC. Ses saynètes en noir et blanc donnent l’impression d’être un mélange de Jarmusch et Kaürismaki, avec une pincée de fantastique. Plusieurs historiettes s’insinuent dans vos jours et vos nuits, ensuite ; leurs personnages aussi. J’y retournerai sans doute, j’espère que vous aurez la curiosité d’y aller voir également.

FLOTS

Les remous de la rivière se lisaient dans les yeux des enfants. Le plus fugace reflet de truite fondait aussitôt un océan d’imaginaire. L’inconnu se dérobait dans l’indifférence touffue des saules.

Un après-midi d’octobre, à trois heures de l’après-midi, un fragile garçon aux yeux verts crut entendre gémir au pied de l’aulne. Alors il se pencha pour saisir un mouchoir qui n’en finissait pas de battre à l’extrémité d’une radicelle. On ne le revit plus jamais. Mais longtemps on l’écouta psalmodier le soir, dans l’antichambre du premier sommeil, entre deux portes si transparentes, si légères…« 

Karim Karkeni